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La vie d'un artiste peintre ne se résume pas à une simple succession de tableaux alignés sur une page ou sur un mur.

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dimanche 11 décembre 2016

Manuel Martinez par Jean-Pierre Pourtier


Dans l'atelier de  Jean Pierre Pourtier

Traces-pensées-mots accouchent… Un fatras éructé où s’enivre la jouissance de peindre, le plaisir de remplir en soi ce qui fait vie… Dessins, peintures, sculptures, écrits dessinés, Manuel Martinez, jour après jour lâche… un cri… un chambardement sur lesquelles se mixent les nécessaires couches de couleurs pour déstructurer l’ordre d’un quotidien… extraire la médiocrité sur lequel s’agite le rituel souffle de la vie, où le ‘rien’ des journées, amollit l’ordinaire de nos pensées. Une bousculade que seule la peinture écriture, lâchée dans l’oubli du sens, peut stimuler pour activer la dynamique de l’œil… générer un sens pictural suffisamment parlant… Dès ses plus jeunes années, peindre relèvera pour Manuel Martinez, d’une lente maturation. Un inducteur et lent processus de couleurs et plus tard de formes s’incarnera dans sa chair. Un enjeu dont seul cet axe, engagera l’être d’être Artiste, compensera son appétit de vie, au sein même des courants marquant l’histoire de l’art… où le peintre pour exister en tant que peintre doit figurer dans une des classifications. La technique de Manuel Martinez finira par prendre le contre-pied de ce déterminisme, et sa délectation, par ses approches insolites, incitera sa personnalité au… vrai. Une voie singulière de gestes où déborde ce qui posture son existant d’être ‘authentique’. Dire par la peinture, reviendra pour lui à affirmer, par ses successives expositions une réplique. Un travail boulimique, qu’inlassablement Manuel Martinez se pressera de griffonner de représentations hétérogènes, contradictoires, bigarrées, discordantes. Une somme de compositions, non seulement pour soutenir un sens qui, par l’objet fait œuvre, engage le cadrage… mais également aguerrit son regard au même titre que le regard de l’Autre. Ainsi oblige-t-il l’œil à s’enrichir de ces oppositions qui nous entourent.

D’origine Espagnol, marque-t-il là, par son ‘faire’ pictural, une adhésion anarchiste comme support de révolte politique.

Ce qui m’intéresse, à l’intérieur de cette surface appelée toile, délimitée par quatre côtés, de géométrie plane, c’est l’infinie complexité, car dès lors qu’on la pénètre de son pinceau, s’y introduit le chaos… dira-t-il.

Ainsi s’oblige-t-il et oblige-t-il le regardeur à comprendre que toutes lignes ou couleurs déposées sur un carré, engendrent au regard, une altercation… une controverse qui enfante une pensée nouvelle… une correspondance avalisée par Picasso.
Et spontanément dira-t-il plus en avant de ses figurations… “Ce petit personnage représenté sur les parois des cavernes, c’est lui que je continue de peindre”. Pas de réflexions ficelées pour adhérer aux divers courants de l’histoire de l’art, mais un lâché de corps pour inciter l’œil… comme les primitifs… sur un ‘voir’ autrement l’engagement du trait.

Évoquer le travail de Manuel Martinez c’est : mesurer l’œuvre à l’énigme sociale… ce qui veut dire : établir une interdépendance entre le fait même de peindre, et la difficile faculté d’intercepter ce qui agite l’acte pictural… la métamorphose qui s’opère entre le peintre et l’homme lui-même. Je pense que Manuel Martinez cherche par/dans le prolongement de son bras, le trait de l’existence qui vaque du pinceau sur l’espace blanc… espace qui ne peut qu’être social. Une esthétique bien particulière où s’aventure son regard, s’engagent sa couleur et ses lignes en traces de vie.
Une structuration esthétique de la toile vers laquelle le regard cherche avec son outil princier, le fond d’une vérité… «La Peinture»… mais quelle peinture, si ce n’est celle, qui lui permettra de répondre sans aucun doute, à cette interrogation «qu’est-ce qui fait qu’une toile fait œuvre ».
Et Manuel Martinez viendra là, poser sa dissidente démarche, disséquant l’angle du regard… une œuvre d’où, par ces lignes diffractées s’érige la couleur dans le vif de la toile et du cadre lui-même… un coin assurément complexe de l’image que la puissante organisation de signes transfère sur l’espace du quadrilatère… un transfert qui suspend la vie, et durant quelques instants, coupe le souffle du regardeur. Un curieux processus où la hardiesse de Manuel Martinez convoque la déficience du regard de l’être qui examine, cherche une voix, mais dont seul reste un sens qui se dérobe… un sens qui opère par négation de la parole. Un octroi où le corps prend une place pleine et entière.
Et voilà un corps, d’où s’éjecte du cadre une représentation, hors de l’habitacle d’une cimaise, un transfert de lyrisme projeté à l’extrême tension… sur le regardeur… des lignes et des couleurs dont Manuel Martinez pousse à l’exultation le défi des opposables rapports ‘entre formes et couleurs’, pour que s’y enveloppe jusque dans leurs ultimes fragilités, la légèreté qui gage entre elles le voile mystérieux d’un doux échange compris entre substances et atmosphères. Une permutation où s’active vers une bouche sans voix, notre sensibilité intérieure.

‘Une intrigue intrigante de la narration joyeuse et légère… proche de l'icône… nous dit Xavier Malbreil… dont peut se dégager un entretien avec la psychanalyse, voire avec ce qui jouxte les tracés mathématiques… ajoutera-t-il plus loin …

Un parfum langage structurel d’où émergent d’une lente appropriation, lignes et aplats, où vibrent les couleurs sur les formes, pour agrémenter l’œil… un espace émotionnel de ligature, entre abstraction et figuration. Et sur la touche délicate, où se diffractent ces étonnants logogriphes, il semble qu’à cet ensemble architecturé, à ces scènes de la vie ordinaire, s’entrelace un quotidien étrange à un obscur monologue qui me fait penser à Magritte… un tracé dessin/peinture de bras, jambes, vêtements… un ensemble très figuré du corps qui nargue la tête aux traits suggérés… têtes quasi esquissées au tracé carré, où, de pensées, ne se raille dans ce mélange narratif… muet… que ce qui semble s’apparenter à de vagues substrats de signes et de symboles…

Par ses représentations, Manuel Martinez ne cherche nullement l'abstraction ni même la figuration, il veut simplement sentir ce qui les oppose… une dissonance dont doit s’extraire par la représentation, la mécanique musicale de la toile… une force où l’idée même de ‘Peinture’ suspend la représentation narrative, plaque une correspondance de traces complexes (comme l’homme des cavernes) afin que la composition qui établit le lien, extrait l’imagerie pour y rabattre le sensible… une mesure émotive ouverte pour qu’à ce voir… par le regard… se joigne cette voie qui fait vie… par le corps lui-même… et que se dégage de là, une nouvelle façon de regarder l’œuvre, au-delà de l’image elle-même… au-delà de toutes narrations et de toutes interprétations.

La force picturale de Manuel Martinez revêt donc cette capacité de captiver et finalement d’astreindre notre regard au point de fracture où se masquent tous nos repères… où irrémédiablement ne manque nullement de se fracturer le sens… L’œuvre de Manuel Martinez, sans cesse en débord plonge l’œil, sans aucune retenue dans… une mise en abîme. 

Jean Pierre Pourtier

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