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La vie d'un artiste peintre ne se résume pas à une simple succession de tableaux alignés sur une page ou sur un mur.

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lundi 7 novembre 2016

Les idées claires, de Manuel Martinez.

Lecture d'une œuvre par Xavier Malbreil.

Les idées claires - Acrylique/toile - 100X80cm
Le travail de Manuel Martinez, que nous sommes beaucoup à suivre, en Midi Pyrénées, comme au-delà de nos frontières, s'est remarquablement affranchi, au cours de ces dernières années, du cadre qu'il s'était fixé, et qui en faisait sa marque de fabrique aussitôt reconnaissable : utilisation des aplats, des couleurs primaires, déstructuration « cubiste » de la figuration, forte présence du cadre à l'aide de traits noirs cloisonnants. Le dialogue que le peintre entretenait avec la tradition, que ce soient les maîtres espagnols, comme l'avant-garde française de la première moitié du XX° siècle faisait tout autant partie de sa patte, de sa manière. Qu'il soit représenté par de grands galeristes en France et à l'étranger, et présent dans de nombreuses collections privées montrait bien tout l'intérêt que les amateurs d'une peinture classique, comme on ne l'enseigne plus dans les écoles des Beaux Arts en France, lui portent. Mais c'est sur l'évolution récente de son travail que je voudrais insister, et notamment à partir d'un de ces derniers tableaux, « Les idées claires », qui manifeste une tension, déjà perceptible depuis plusieurs années, vers une concentration du langage pictural, vers l'épure et davantage encore vers l'ellipse. On remarquera au premier abord dans ce format 80 x 100 cm l'abandon des couleurs primaires et complémentaires au bénéfice d'un camaïeu de bleus et de gris assez froids, avec de minces rappels de jaunes et de vermillon sur le bras, qui figurent la carnation du personnage féminin représenté – autre marqueur des récents changements dans la manière de Manuel Martinez. Des touches de vert, également, viennent compléter sa palette, que l'on pourrait dès lors rapprocher de certains tableaux de Munch, qui mettent à profit une fusion chromatique pour représenter, crument, violemment, la complexité des tensions inconscientes qui nous agissent. La femme que représente Manul Martinez a les « idées claires », mais quelles sont ces idées ? Sont-elles si claires que cela et pour qui sont-elles claires ? Pour elle, ou pour le spectateur qui la regarde ? Si ses idées sont si claires, pourquoi s'évadent-elles de sa tête ? Le compagnonnage que la peinture a entretenu avec la psychanalyse est ici, en quelque sorte, rappelé, suscité. Ce que l'on peut encore remarquer dans ce tableau, c'est ce mélange de réalisme - académique, dans les plissés, morphologique, dans la représentation de la main - et d'une abstraction de la première manière – celle de Mondrian, Klee, Kandisky, et pas celle, plus tardive, que l'on a appelé « lyrique », de Pollock, Mathieu, et consorts. L'abstraction dont nous parlons ici est celle qui accompagne, qui rejoint l'essor si prégnant de la pensée scientifique, à partir de la fin du XVIII° siècle. Une abstraction qui vise à simplifier la ligne, pour la faire tendre vers la netteté du dessin d'architecture, ou vers la pureté supposée d'une formule mathématique – et surtout vers sa force potentielle, vers son incomparable aura de mystère et de pouvoir. Cette fascination pour la science, et ses redoutables formules mathématiques, qui peuvent expliquer les rapports entre matière et énergie, entre temps et espace en quelques lettres et quelques chiffres, a si profondément modelé l'imaginaire des artistes et des écrivains qu'il nous semble aujourd'hui aller de soi. Il faut encore le montrer, l'exprimer, et c'est une des choses que dit ce tableau en montrant par ailleurs le pendant obligé de cette fascination pour la formule, pour le schéma, à savoir le mystère, quand le schéma est obscur, ou quand il nous manque les clés pour le comprendre. La figuration de la pensée, qui s'échappe de la tête du personnage, nous rappellera aussi les rébus visuels, sans paroles, tels qu'on les donne à deviner aux enfants, ou tels que les grands délirants peuvent en proposer. Il y a quelque chose qui se dit dans cet ensemble de lignes, de ronds, de points, dont certains font sens, et rappellent qui une main, qui une tête, et dont d'autres restent de l'ordre du signe, ou du symbole, ou encore hésitent entre l'icone et l'alphabet. S'évadent ainsi de la tête du personnage des formes que les uns et les autres interpréteront différemment, et puis, sur le même plan, des signes, comme le +, des symboles maçonniques comme le compas, des éléments purement graphiques comme des hachures, des traits, des cercles, comme si l'artiste avait voulu convoquer sur un seul tableau plusieurs modes d'expression de la peinture : du réalisme académique, qui imite le visible, et se fige dans la convention, jusqu'au dessin le plus archaïque, point-ligne-cercle, qui en fonde une autre origine – pensons aux motifs géométriques présents dans tant de traditions picturales, de l'Afrique à l'Océanie - les deux origines de la peinture ne sont-elles pas présentes sur ce tableau? « Les idées claires » se situe bien dans l'évolution actuelle de Manuel Martinez, dans la trajectoire d'un peintre, tout simplement, qui certainement se débarrasse peu à peu des influences qui pouvaient l'apparenter aux hérauts du cubisme, et qui l'amène à trouver, honnêtement, pas à pas, comme on cherche à résoudre la difficile équation du rapport aux anciens, du dialogue avec l'écrasante histoire de la peinture, un chemin vers son propre langage. Mais quel langage? Parler avec un peintre, c'est souvent entendre que la peinture est un jeu de formes et de couleurs qui se suffit à lui-même – et c'est bien ce qu'avançait Paul Valéry, dans son "Introduction à la méthode de Léonard de Vinci", quand il voulait rendre la peinture à elle-même, et la débarrasser de la représentation et de la narration. Est-ce suffisant pour dire la spécificité de chaque peintre? Certainement pas. La ligne que Manuel Martinez suit actuellement – cette recherche d'une cohabitation entre figuration et abstraction, cet élan vers une liberté de peindre comme il l'entend, cette richesse dans l'utilisation des moyens que la peinture a accumulés au cours des siècles - pourrait être considérée comme un marqueur spécifique de son évolution à ce moment précis, en 2016, - hors sa volonté, partagée avec beaucoup, de ne travailler que sur la matière propre de la peinture. L'écrit dit quelque chose, il ne peut faire autrement, les mots sont porteurs de signification. Le visuel signifie - et autrefois si lourdement quand il s'agissait d'art sacré ou de peinture d'histoire. C'est quand le visuel signifie et ne signifie pas, quand il intrigue en un mot, qu'il devient le plus intéressant. Il intrigue, il est intriguant, beaucoup de sens possibles à ce mot. Une intrigue intrigante? Chacun sera libre de lire à son goût le sens la proposition que nous fait ce tableau « Les idées claires ». Nulle pesanteur, dans l'envol de ces pensées, nulle sollicitation abusive du spectateur, qui serait sommé d'interpréter. Ce tableau nous propose une intrigue joyeuse, avec légèreté, celle du balancement toujours ouvert entre l'icone, qui reproduit, ou gauchit, et nous fait dire « c'est ça, c'était cette chose là que j'ai vue, ou que j'ai cru voire », et le signe, si puissant, mais si porteur d'ambiguïté, quand il se compose en mots.
Xavier Malbreil











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